La matière organique : un élément incontournable de la fertilité des sols

1. Introduction

Le rendement d’une culture est l’expression du potentiel génétique de la variété, atténuée par les effets des différents facteurs limitants de la production. De nos jours, la climatologie, l’implantation des cultures, les maladies et ravageurs sont considérés comme étant très souvent à l’origine de pertes de rendements conséquentes. Or, dans de plus en plus de situations, la perte de fertilité du sol est un facteur au moins aussi contraignant que ceux précédemment cités.


Figure 1 : fertilités de sols (selon GEMAS-COMIFER – 1995)

Dans le schéma représentant la fertilité globale des sols proposé par le COMIFER en 1995 1 , tous les paramètres physiques, minéraux et biologiques sont utiles, mais tous n’ont pas la même importance, quant à leur impact sur la recherche du rendement potentiel. La stabilité à long terme de cet ensemble repose sur trois bases absolument incontournables : l’état calcique, l’état organique et l’état structural.
Dans les sols du Maghreb, si l’état calcique des sols est à un niveau très élevé (pH souvent supérieur à 8), il n’en est pas de même des états organiques et structuraux, tous deux très intimement liés.
Dans une étude publiée au cours du Global Symposium on Soil Organic Carbon (Rome 2017) 2 , il est fait état d’un stock moyen de 20 à 30 t/ha de carbone organique pour toute la devanture méditerranéenne de l’Algérie.


Figure 2 : carte de la dégradation des sols, d’après www.humanite-biodiversite.fr/article/sols-en-danger (31 juillet 2012).

Tenant compte d’une masse de terre moyenne d’environ 3000 t/ha, il est permis de conclure que dans la majorité des cas, la teneur des sols en matière organique ne dépasse pas 1.5 % 3, et se trouve même très souvent en dessous 1 %. Cette très faible valeur engendre une perte de fertilité globale des sols absolument considérable, avec des conséquences très importantes sur la production des espèces cultivées.


1 Comité d’Etude et de Développement de la Fertilisation
2 Mapping of soil organic carbon stock in arab countries – Darwish& Fadel – 2017
3 Mapping of soil organic carbon stock in arab countries – Darwish& Fadel – 2017

2. Qu’est ce que la matière organique ?

Pour faire simple, il est possible de scinder la matière organique du sol en trois grandes catégories de composants :

Du carburant : il est constitué essentiellement de résidus de culture frais et évolués (pailles, bois de taille) qui sont laissés sur le sol et enfouis par les travaux du sol successifs. Ainsi, le retrait ou le brulage des résidus de cultures constituent une perte de carbone considérable, qui entraîne à cours termes une perte du statut organique des sols. Il peut également être constitué d’amendements organiques, produits qui contiennent peu d’éléments minéraux, mais une grande quantité de matière organique plus ou moins évoluée. Cette masse représente 7 à 20 % du stock de carbone organique.

Tableau 1 : répartitions des composants de la matière organique d’après « Entretien du statut organique des sols » (Bourrié – 2018)

Des agents : entre le résidu de culture réintroduit dans le sol ou l’amendement organique apporté, et le carbone humifié, un ensemble de réactions biologiques sont nécessaires, mettant en œuvre une diversité exceptionnelle de macro et micro faune. Chacun de ces agents possède une fonction très précise. De leur présence, de leur diversité, et de leur fonctionnalité dépend le cycle du carbone. En permettant un milieu propice à leur développement, la matière organique agit non seulement comme une base de nourriture, mais également comme un des piliers fondamentaux de leur biotope. Bien que souvent invisibles, ces agents représentent 4 à 8 % du stock de carbone organique.


Figure 3 : cycle biologique de la matière organique d’après « Entretien du statut organique des sols » (Bourrié – 2018).

Un stock : lorsque une matière carbonée, une paille, un sarment, est entrée dans la chaîne biologique du sol, à l’issue de son parcours d’humification, elle a produit de l’humus, qui est le véritable ciment du sol. Ce stock représente entre 75 à 85 % du stock de carbone organique du sol.
Si la présence des composants minéraux (argiles, sables, limons) du sol est stable dans le temps, la nature vivante de la matière organique lui confère un caractère évolutif, très dépendant des réactions biologiques du sol.

3. Comment appréhender le bilan humique d’une parcelle ?
Comme il est indiqué dans la figure 3, la perte de matière organique d’un système est essentiellement occasionnée par le phénomène de minéralisation 4 qui peut s’estimer à l’aide du k2 5.

Tableau 2 : estimation de la perte en matière organique.

(1) 10000 m² (surface) x 0.3 m (profondeur) x 1.3 t/m3 (masse volumique) = 3900 t/ha de terre
(2) 25 % d’argile, 30 % de calcaire, 15 °C de température moyenne
Ainsi, plus un sol est riche en matière organique, plus la perte annuelle est importante.

Dans bien des cas, le gain de matière organique n’est constitué que des seuls résidus de culture. Au cours de son parcours d’humification (cf Figure 2), la paille va subir un ensemble de transformations permettant à partir d’un résidu brut, de produire de l’humus stable. Ces transformations font référence au coefficient d’humification k1, dont la valeur pour les pailles de céréales est proche de 15 %.

Prenons l’exemple d’un blé dont la production s’est élevée à 50 qx/ha.

Tableau 3: estimation du gain en matière organique.

A partir de ces estimations des gains et pertes, un bilan humique peut être ainsi estimé :

Tableau 4 : bilan humique à la parcelle.

Il est ainsi possible de constater trois choses importantes :
– Tous les systèmes agricoles perdent naturellement tous les ans de la matière organique. Cela veut dire que le sol fonctionne normalement. Une seule exception : lorsque la teneur est à ce point faible (généralement 0.5 à 0.7 % MO) que la minéralisation est toujours compensée par les maigres entrées dans le circuit de la matière organique. Le bilan humique est alors nul, mais la fertilité du sol est faible et les rendements médiocres.
– Plus la teneur en matière organique est élevée, et plus la perte annuelle en humus est forte. En contre partie, en minéralisant une grosse quantité de matière organique, le sol fournit gratuitement des éléments minéraux à la plante (N, P, S). Le bilan humique est fortement négatif, mais le sol est fertile et la production élevée.
– Le recyclage ou non des résidus de culture est déterminant sur l’équilibre humique du sol. En se privant de cette ressource (exportations, brulis, pâturage), le bilan humique s’appauvrit.
Quelle que soit la situation, tous les systèmes agricoles consomment de la matière organique. Même en tenant compte du recyclage des résidus de cultures, le bilan humique sera presque toujours négatif. La seule façon de neutraliser ce bilan, voire d’augmenter la teneur en matière organique du sol sera d’avoir recours à des intercultures, ou bien d’utiliser des amendements organiques.


4 Il existe également des pertes difficilement estimables du fait de l’érosion
5 Il existe deux approches pour la détermination du k2. Pour ce calcul, c’est l’équation de Girard et al (2011) qui est valable pour le Sud de la France qui a été choisie :

4. Quels sont les rôles de la matière organiques ?
La matière organique a un rôle déterminant sur l’ensemble des fertilités du sol :

  • D’un point de vue physique

La matière organique joue le rôle de ciment dans le sol, en permettant la constitution des agrégats. De la stabilité structurale qui en dépend découlent deux propriétés principales :


Figure 4 : représentation schématique d’un agrégat et motte agrégée

-La création de la porosité : la constitution d’agrégats solides génère de la porosité. Ces espaces libres sont colonisés par l’eau (lors des pluies) et par l’air (lors des phases de ressuyage). De l’eau, de l’air, deux constituants fondamentaux du développement des plantes. Par un effet indirect, la matière organique permet de lutter contre le tassement et d’accroître la réserve utile des sols en eau, repoussant ainsi les limites du stress hydrique.

Tableau 5 : exigence hydrique des cultures et influence de l’oxygénation des sols sur le développement racinaire

-La lutte contre l’érosion : la perte du statut organique des sols accroît très sensiblement la sensibilité des sols à l’arrachement. Là où un sol à 3 % de MO va résister à l’érosion causée par les pluies et le vent, un même sol avec 1 % de MO va se raviner, entraînant une perte de fertilité minérale très importante, et augmentant très sensiblement le risque de pollution des eaux gravitaires.
L’évaluation de la qualité de la structure des sols peut s’effectuer au moyen du test de la bêche (VESS pour Visual Evaluation of Soil Structure) qui permet simplement et rapidement de donner un score à la qualité physique du sol (1 très bon à 5 très mauvais). D’un ensemble de travaux réalisés en Suisse sur des sols bruns, il a été démontré que ces scores sont en relation étroite avec la teneur en matière organique, celle-ci se jugeant également par rapport à la teneur en argiles.


Figure 5 : rapport matière organique/argile de 185 sols bruns du plateau suisse, avec les régressions correspondant aux scores < 2 (très bonne structure), =3 (limite acceptable) et > 4 (sol très dégradé).

Sur la figure : prairies permanentes (triangle vert), non-labour de plus de 10 ans (rond bleu) et labour conventionnel (carré rouge). D’après Pascal Boivin – University of Applied Sciences of Western Switzerland – Août 2017.

Les droites de régression tracées dans la figure 5 représentent la moyenne des qualités structurales : de très bonnes (score<2) à très dégradées (score>4), en passant par acceptable (score = 3). C’est donc bien la proportion de matière organique/argile qui dans ces cas, détermine la qualité structurale des sols. Ainsi, un sol contenant 30 % d’argiles devra également contenir deux fois plus de matière organique qu’un sol n’en contenant que 15 % pour atteindre la même qualité structurale.


Photo 1 : Érosion des sols du sud de la France sur des sols à très faible teneur en matière organique

– D’un point de vue biologique
Un sol riche en matière organique va permettre la constitution d’un biotope protecteur des macros et microorganismes du sol. Ainsi, les cycles du carbone et de l’azote seront facilités, avec toutes les incidences bénéfiques sur le développement des cultures. Fractionnement et évolution des résidus de culture (ver de terre, flore fongique), développement du système racinaire (mycorhizes), solubilisation des éléments minéraux (bactéries), sont trois éléments parmi d’autres, qui seront facilités par la présence de matière organique évolutive. Après de l’eau et de l’air, la matière organique est génératrice de la vie dans le sol.

Photo 2 : macro et micro faune du sol : les ingénieurs du sol

– D’un point de vue minéral
Le stockage des cations (K, Mg, Ca) dans le sol s’effectue sur le complexe argilo-humique. Cette matrice est composée d’argile et de matière organique, tous deux négativement chargés, et principalement de calcium (en Algérie), qui du fait de sa charge electro-positive, permet la cohésion de cet ensemble.

Figure 6 : vision schématique du complexe argilo humique et de la CEC
(d’après « Entretien du statut organique des sols » – Bourrié – 2018)

Ainsi, plus la teneur en matière organique est élevée, plus la CEC est importante, meilleure est la fixation des cations dans le sol, qui sont ainsi préservés du lessivage. Les apports d’engrais sont ainsi mieux valorisés. Également, en se minéralisant, cette matière organique va distribuer gratuitement des unités fertilisantes à la plante. Intéressante pour l’azote, cette propriété de la matière organique l’est d’autant plus pour le phosphore, qui est un élément qui se trouve en situation de déficience dans la plupart des sols algériens.

5. Nécessité d’entretien du statut organique des sols

S’il est une composante stratégique du fonctionnement du sol, c’est bien la matière organique. De son maintien dans le sol à un niveau correct, va dépendre la stabilité de la fertilité globale, et de l’augmentation de la teneur, la possibilité de tendre vers l’exploitation du potentiel génétique maximal d’une plante.

Les bilans humiques à la parcelle, si imprécis soient-ils, mettent systématiquement en évidence des valeurs négatives à très négatives. Cela veut dire que peu à peu la teneur du sol en carbone décroît, que la sensibilité des sols au stress hydrique augmente, et que plus généralement, la fertilité globale diminue. Ainsi, de l’entretien organique des sols et de leur fonctionnement biologique, dépendent directement les niveaux de production présents et futurs.

Les seuls résidus de culture ne peuvent en aucun cas suffire à l’équilibre du bilan humique. Deux solutions s’offrent alors aux agriculteurs :

– Une solution « naturelle », avec le recours aux intercultures. Malgré tout, cette solution très intéressante ne donne la plénitude de ses moyens que dans les zones où la contrainte hydrique n’est pas trop élevée. Elle peut être couteuse, difficile à mettre en place, mais cela reste malgré tout une solution d’avenir, qui trouve son expression maximale dans le concept d’Agriculture de Conservation (ou semis sous couvert), dont le développement en Europe est balbutiant, alors que ces techniques couvrent la majorité des sols cultivables du Brésil, très en avance sur ce point.

– Une solution simple, agronomique, écologique, rentable, avec le recours aux amendements organiques. Cette catégorie de produit est à séparer des engrais organiques, dont l’efficacité est essentiellement focalisée sur la nutrition des plantes ou le fonctionnement biologique des sols. Les amendements sont caractérisés par trois propriétés principales :

    • Une teneur en matière organique stable importante (une production d’humus stable de 120 à 500 kg/t de produit brut) 6.
    • Un C/N compris entre 10 et 18, caractérisant une matière stable, non évolutive, qui ne consommera pas d’azote pour terminer sa fermentation.
    • Une teneur en éléments minéraux assez faible. La normalisation française (bientôt européenne), considère qu’un amendement organique ne doit pas contenir plus de 7 % de N+P+K. dans le cas contraire, cela devient un engrais organique.

En conclusion, pour résumer tout l’intérêt de la matière organique, je me permets un témoignage personnel.

« En France, 2003 fût une année parmi les plus sèches et chaudes depuis plus de 100 ans. Sur deux parcelles voisines au profil pédologique comparable, un maïs qui a bénéficié de la même fertilisation minérale, mais aucune irrigation a été cultivée. Sur la parcelle n°6, la teneur en matière organique était de 0.9 %. Le rendement fût de 52 qx/ha. Sur la parcelle n°11, la teneur en matière organique était de 2.1 %. Le rendement atteignit ….. 92 qx/ha. Sans commentaires ».

Bruno BOURRIÉ
OLEA
France 2019


6 Ces valeurs sont à rapprocher du tableau 4. Un amendement qui produit 200 kg/t d’humus stable, apporté à 10 t/ha, apportera 2 t/ha d’humus stable. C’est la quantité qu’il faudrait pour équilibrer le bilan humique annuel sur la parcelle ayant 3 % de MO, et dont les pailles sont exportées.

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